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Pour un carnet de bord

 

Quelques pistes

  •   Pour un carnet de bord

 

"Amasser des mots, des idées, des bribes d'écriture, quelques réflexions, des extraits de textes ou de conversations, au cours d'une conférence, d'une séance de cinéma, dans une exposition, lors d'une visite d'un atelier d'artiste.

Retranscrire des dialogues entendus dans divers endroits au détour de notre quotidien, dans le bus ou lors d'une file d'attente.

 

Dessiner la posture particulière d'une personne ou d'un animal, observer une attitude, croquer une expression, noter un jeu de mot, une traduction. Apporter une touche colorée à l'aide d'une mine, d'un pastel, un fusain, une sanguine, une encre ou encore de la gouache, l'aquarelle ou l'acrylique.

 

Coller et aussi "découper et coller" une photographie ayant un cadrage singulier, un ticket d'entrée d'un lieu précis, une étiquette ou petite carte qui a retenu notre attention, un fragment de plan d'une ville ou d'un quartier, un extrait de matière naturelle (feuille écorce graine) ramassé sur le chemin. L'essai la tentative et la rature en font partie. On s'y accorde le droit à l'erreur. Ecrire sans entrave de manière très personnelle à propos d'observations qui ont un sens particulier.

 

C'est un parcours au fil du temps, comme un carnet de voyage.

 

Grâce à cette démarche qui est intuitive, sensible, créative voire débridée il est le réceptacle d'un florilège de propositions textuelles et visuelles qui vont alimenter notre réflexion.

 

Le carnet de bord rassemble au fil des jours " les matières éparpillées de nos projets. Par les mots et les images il permet de bâtir un travail définitif en le nourrissant du temps passé à choisir, noter, griffonner, dessiner nos pensées et nos observations. La confrontation à la page blanche a déjà eu lieu, un fil conducteur s'est tissé, qui sous-tend notre démarche"

Raphaëlle Hayot, artiste

 

Les aller-retours de la pensée vont être consignés dans le carnet. De ce jeu entre l'extérieur et l'intérieur, quelques thématiques ou approches récurrentes vont faire ressortir la base d'un questionnement.

 

Les fruits du questionnement et de la réflexion singulière et personnelle participent alors à la constitution du mémoire de fin de première année, document-étape d'un parcours recherche sans réelles limites dans l'espace et le temps."

 

Catherine Thiollier

 

  • Quelques pistes

 

Hypothèse :

 

Peut être  nous faut il  obligatoirement recoudre, retisser, retrouver la source esthétique.

La conscience de soi se construit, tourmentée des mémoires multiples.

De ceux qui se sont enfuis et qui ont amené leur silence dans les mornes. De l’Afrique,  « ils cultivent une songerie immobile[i] Â». A l’abolition « ils ajouteront au phénomène de créolisation la poétique d’une Afrique souvenir mythique et idéelle[ii] Â».

Les esclaves eux ne sont que des africains déportés ceux là doivent réinventer la vie. Ceux qu’Edouard Glissant appelle « les migrants nus Â». Ceux dont le bagage se résume à des traces nébuleuses dans le repli de la mémoire. Nous sommes face à une mémoire fuyante, à conserver, une histoire éclatée à retenir, à restaurer.

 

Les héritiers du cri peut–être  ?

 

Ceux  qui seront capable de passer du cri à la parole, capable de se transformer en « artiste du cri[iii] Â».

Le conteur, le paroleur, « le papa-langue de l’oralité d’une culture naissante[iv] Â».

« Le conteur est, dans sa parole et dans ses stratégies, riche de l’Amérique précolombienne, de l’Afrique, et de l’europe. Il est déjà créole – c'est-à-dire multiple, déjà mosaïque, déjà imprévisible[v] Â».

Ceux celui en plein cœur des champs et sucreries reprendront à leur compte la contestation de l’ordre colonial utilisant son art comme masque et didactique.

« Le jour, il vit dans la crainte, la révolte ravalée, le détour appliqué.

Mais la nuit, une force obscure l’habite. Une levée atavique brise la carapace sous laquelle il s’embusque. D’insignifiant il s’érige mitan des cases à nègres, maitre-pièce de la mécanique des contes, des titimes, des proverbes, des chansons, des comptines qu’il élève en littérature, ou plus exactement en oralitude[vi] Â».

 

L’oralitude créole instaure le lieu de marronnage dedans l’habitation. Cette pratique semble être l’esthétique du choc de nos consciences. Cette esthétique va s’affronter aux valeurs du système colonial et répandre subrepticement de multiples contre valeurs, une contre culture. Si cette langue du conteur réfléchi dans ses phrases la diversité du monde ; être langue écho-monde…

Ne devrions-nous pas être les héritiers de tout cela ?

 

Notre histoire commence par une perte.

 

Cette perte commence après la destruction des civilisations amérindiennes, avec la répression sur les plantations des traditions culturelles et cultuelles importées d’Afrique par les esclaves, complétée par l’œuvre d’évangélisation des missionnaires chrétiens. L’esclavage a mis fin à leur activité créatrice et la période esclavagiste est restée stérile à toute création picturale et sculpturale. Cependant l’esclave n’est pas resté un être passif. Il va cacher au plus profond de lui ces racines Africaines, il les fera ressurgir sous la forme de contes et de mythes dans lesquels l’homme africain est libre. Il va grâce à cela se construire des repères culturels et symboliques.

 

« Les nègres d’Afrique comme l’écrit Dany Bédel-Gisler dans le réel canne dans l’imaginaire guadeloupéen vont s’adapter et adapter leurs langues et leurs cultures premières au système de référence colonial qui avait brusquement pris la place des systèmes africains. Ils vont mobiliser toutes leurs forces pour s’organiser collectivement en fonction du présent et du passé, pour créer une langue, le créole, élaborer un rapport propre au corps, bref, conférer par une volonté de cohésion et d’unité, un sens à ce monde imposé, donner naissance à une culture Â».1

 

Après l’abolition, et malgré l’abolition la prépondérance de la culture européenne demeure.  Selon Jean Bernabé, Patrik Chamoiseau, Raphael Confiant dans éloge de la créolité « Notre vérité s’est trouvée mise sous verrou ; à l’en-bas du plus profond de nous-même, étrangère à notre conscience et à la lecture librement artistique du monde dans lequel nous vivons. Nous sommes fondamentalement frappés d’extériorité. Cela depuis les temps de l’antan jusqu’au jour d’aujourd’hui. Nous avons vu le monde à travers le filtre des valeurs occidentales, et notre fondement s’est « exotisé Â» par la vision française que nous avons dû adopter. Condition terrible que celle de percevoir son architecture intérieure, son monde, les instants de ses jours, ses valeurs propres, avec le regard de l’autre. Surdéterminés tout du long, en histoire, en vie quotidienne, en idéaux (même progressistes), dans une attrape de dépendance culturelle, de dépendance politique, de dépendance économique, nous avons été déportés de nous-mêmes à chaque pan de notre histoire scripturale, picturale et sculpturale Â».2

 

Valérie John

 

 

 

 


 

[i] Aimé Césaire, « Et les chiens se taisaient. Â» in, Les armes miraculeuses, Poésie Gallimard, Paris 1946.  

 

[ii] P. Chamoiseau, R. Confiant, Lettre créole. Tracées antillaises et continentales de littérature 1635-1975, Hatier, Paris 1991, p. 34.

 

[iii] Op. Cit. p.34.

 

[iv] Op. Cit. p 56

 

[v] Op. Cit. p 56.

 

[vi] Op. Cit. p. 56.

 

1 Dany Bedel-Gisler,  «Le réel canne dans l’imaginaire guadeloupéen Â», in Actes du Colloque Canne à sucre et littérature, A.P.E.S., Fort-de-France, 1991, p. 300.    

 

2 Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Eloge de la créolité, Paris, éd. Gallimard, 1993, p. 14.

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